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Disruption : une stratégie risquée ?…

disruption

La disruption ? C’est la rupture avec un système établi. En communication, l’agence TBWA s’en est fait une griffe de fabrique. Cependant, la disruption peut dépasser la communication pour devenir une véritable stratégie marketing… Risquée, pense-t-on, mais pouvant être terriblement efficace. Un exemple : l’innovation disruptive.

Innovation : continuité ou rupture ?

Une entreprise a pour but de croître. Immédiatement, ceci évoque un processus long et continu. Pour autant, ceci est illusoire, car une entreprise doit aussi innover pour croître. Dans le cas contraire, la concurrence s’en chargera. Cette innovation est une rupture dans la continuité.

Il est plus « facile » d’innover lorsqu’une marque est en création. C’est le principe de la start-up, pour laquelle le business model va correspondre parfaitement au produit innovant. Il n’y a aucune remise en cause de l’existant. À l’inverse, une entreprise statutaire, parfaitement installée dans son marché, prend paradoxalement autant sinon plus de risques à innover. Parce qu’elle se met en position de disruption.

Disruption : avantages et inconvénients

Selon une étude d’Hamberg de 1996, Essays in the Economics of Research & Development, 20 des grandes inventions issues de l’après-guerre sur 27 ont été créées par des entreprises non établies sur leur marché. L’indice est grand de penser que l’innovation est complexe lorsqu’on fonctionne selon une stratégie éprouvée. Pourquoi ?

  • La création de valeur est une nécessité pour l’actionnaire. Le ROI est donc une notion orientant fortement la stratégie de l’entreprise, ce qui amenuise mécaniquement toute prise de risque. Or, innover, c’est risquer. Le meilleur investissement est souvent considéré comme le moins risqué.
  • Justement : le niveau de risque est toujours dissuasif, car une innovation demande de l’énergie, du temps, de la pénétration dans un marché. Et peut se solder par un échec violent — tout autant que par une réussite légendaire. Problème : la prospective est ici par définition périlleuse, puisque le produit est unique.
  • Le conformisme est une valeur sûre : on étudie la concurrence pour ses meilleures pratiques. Si elles fonctionnent, c’est qu’elles sont bonnes. Ceci est séduisant sur le papier, mais souvent assez faux. La différenciation est fondamentale en marketing, et c’est l’analyse de ces différences qui devrait créer de la valeur.
  • L’identité de l’entreprise est, par définition, non innovante. L’identité est par définition immuable, sinon elle n’est plus une identité. On ne peut changer l’ADN d’une marque à chaque produit. Renault se transforme en Dacia pour le low cost, Mercedes en Mayfair pour le premium d’exception…

Disruption et innovation : un genre spécifique d’innovation

Pour autant, on le sait tous, l’innovation reste au cœur des entreprises. Mais toute innovation n’est pas, malgré les apparences, disruptive.

Ryan Air lance des moyens courriers low cost. Un aller-retour Paris-Dublin pour 100 €, c’est possible. Est-ce innovant ? Sans conteste, oui. Est-ce une innovation disruptive ? Sans conteste non. Pourquoi ?

Parce que le business model de Ryan Air est un système préexistant transposé à un secteur. Et que les vols low cost sont facilement copiables par les autres concurrents (Easy Jet, Transavia, Vueling, Condor…)

La disruption se reconnaît à différents points :

  • Il s’agit d’une nouvelle proposition de valeur par rapport à l’offre de référence. Par exemple, les hard discounters se situent dans une innovation disruptive par rapport au retail traditionnel : les produits coûtent moins cher, mais sont (ou étaient ?) d’une qualité moindre. Sauf pour certains produits. Ceux-ci sont beaucoup mieux placés que le marché de référence.
  • Or, justement, le marché de référence ne cesse d’affiner ses produits pour se démarquer. Finalement, on observe une proposition de valeur dépassant la demande moyenne du consommateur. Par exemple, paradoxalement, en supermarché, on trouve des produits aux tarifs de plus en plus élevés. L’innovation disruptive peut contrer cette valeur trop élevée lorsqu’un client comprend que l’offre est moins chère, mais mieux adaptée à ses besoins. Il y a ici une réappropriation du cœur de cible (qu’en stratégie on nomme la cannibalisation du marché).
  • Une entreprise de référence ne peut pas investir dans une innovation disruptive à cause des marges plus faibles engendrées par des produits moins chers, mais exigeant à la naissance du produit une attractivité marginale pour une cible restreinte. Ceci paraît aller à l’encontre d’une logique de rentabilité et de performance. Pour autant, c’est ainsi qu’IBM a submergé le marché de micro-ordinateurs, le PC étant une machine de pauvres par excellence…

Innovation par la disruption : quelques clefs de réussite

L’intérêt de l’innovation disruptive est qu’on la voit rarement venir. Et que lorsque les leaders d’un marché s’aperçoivent de la réussite d’un produit disruptif, c’est trop tard : ils ne peuvent adapter leur offre au nouveau marché.

La complexité de la mise en vente de produits disruptifs provient de deux facteurs :

  • La création d’un marché qui n’existe pas et la captation de ce que, par définition, nous pouvons considérer comme des non-consommateurs. Ou la captation de ceux qui ne sont pas tournés vers l’offre de références… Il en va ainsi du marché des voitures électriques, ce que Musk et sa marque Tesla a parfaitement compris…
  • La cannibalisation du marché existant, en le siphonnant par le bas et en transformant l’offre de référence.

Logique de l’innovation par la disruption

Pour cela, on part de la cible, comme toujours en termes de marketing ou de développement (thèse de Christensen) :

  • L’offre de référence est-elle trop chère pour sa cible ? Et l’offre disruptive permet-elle de ramener ce référentiel à l’exact besoin du consommateur ? Exemple : Netflix est de loin meilleur marché que ce que l’on proposait sous forme de DVD. Mieux : tout est à disposition de manière nomade, sans lourds appareils de lecture.
  • Les consommateurs sont-ils, pour un produit ou un service donnés, à la recherche de quelque chose de plus simple que l’existant ? Cela permettra-t-il de réaliser des choses plus vite et mieux ? Exemple : la carte à puce comme moyen de paiement par rapport au chèque qui a littéralement disparu. Simple, peu encombrante, sécurisée, inépuisable dans son utilisation…

Selon les réponses que l’on peut apporter à ces problématiques, on peut améliorer les probabilités que le produit innovant et disruptif se vende bien :

  • L’offre de référence doit être surévaluée par rapport à la demande.
  • Un business model spécifique doit pouvoir être mis en place pour ce produit disruptif.

Tout ceci est une polémique traditionnelle, car, comme dans toute disruption qui se respecte, on prend les thèses traditionnelles à contre-pied :

  • On ne répond pas aux besoins identifiés des cibles
  • On dégrade l’offre existante
  • Les études de marché ne sont plus parole d’Évangile
  • On sort de l’analyse attentive, affinée jour après jour, des habitus des consommateurs et on est ici à l’inverse du marketing participatif aujourd’hui prôné avec tellement de force.

Disruption : qui a raison, le concepteur ou le client ?

La conception du produit revient à la recherche et développement, et au marketing. Sont-ils plus dans le vrai que la demande du marché ?

Force est de constater que technologiquement, ce sont les ingénieurs qui l’emportent.

Qui connaît Shuji Nakamura ? Son histoire est pourtant passionnante, à tel point qu’il est Nobel de physique en 2014. Son innovation disruptive ? La diode LED bleue. Pourquoi est-ce une innovation majeure ? Parce qu’on savait produire des LED vertes et rouges. Mais qu’avec la LED bleue, on a révolutionné le champ des possibles en matière d’imagerie : vert + rouge + bleu = toutes les couleurs du spectre visible. Les répercutions technologiques et sociétales ont été insondables, allant se nicher jusque dans votre téléviseur à écran plat…

La rupture technologique est toujours issue de l’offre, rarement de la demande. Dans la moitié des cas, aucune étude de marché n’est faite lors de la mise en vente du produit. Ainsi sont nés les PC, les téléphones portables, les lecteurs de CD, les GPS, etc.

Mais le courant inverse existe aussi dans le monde de la disruption. Par exemple, Kodak n’a pas pris la mesure de l’émergence de l’appareil photo numérique qui correspondait parfaitement au besoin du marché. Posséder toutes ses photos immédiatement, gratuitement une fois l’appareil acheté, de manière illimitée, sans passer par la case achat de pellicule, développement et désillusion face à des photos surexposées ou bougées, c’était un rêve inaccessible. Kodak n’y a pas cru… Sony, Nikon et Canon l’ont fait…

Trois étapes pour une disruption réussie

Ainsi, la complexité provient du phasage long de la mise en place d’un processus de croissance :

  • La captation des clients pionniers, ces consommateurs qui n’existent pas par définition (2 à 10 % du marché global)
  • La traversée du désert une fois ce segment capté, exigeant de convaincre d’autres segments de marché par la preuve pragmatique sans passer par les consommateurs déjà captés qui sont, également par définition, très atypiques
  • L’amélioration du produit pour étendre son emprise sur les consommateurs pour lesquels l’offre de référence est décalée ou insatisfaisante. Ce processus est très long et demande beaucoup de moyens
  • En arriver à la conviction du marché majoritaire. Celui-ci a toujours tendance, par habitude, à donner une valeur perçue plus importante au connu, aux habitudes, et se méfie des gains de la nouveauté. Ils estiment un nouveau produit comme un risque.

De nombreuses études démontrent ainsi qu’une innovation disruptive doit être de 5 à 10 fois plus performante que l’offre de référence pour pouvoir pénétrer un marché durablement. Ce fut le cas des processeurs Intel, ou des marques ayant mis sur le marché l’IRM face au scanner traditionnel.

L’innovation disruptive doit, donc, pouvoir s’adapter et s’améliorer au fil du temps pour s’ancrer dans un marché. Avantage : elle est plus accessible à une entreprise nouvelle qu’à une major. Inconvénient : elle demande du temps et des moyens. Mais en définitive ni plus ni moins que pour n’importe quel autre type de produit en termes de risques.

Simplement, l’approche stratégique est, elle-même, totalement inscrite dans la disruption.

 

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