La création de rareté est un enjeu important du marketing. Nous savons qu’il faut qu’une marque, qu’un produit se différencient de la concurrence. Pour cela, il existe beaucoup de pistes. L’une des plus importantes est la valeur perçue. Or, la rareté est un des plus forts leviers de différenciation, tout en concernant tous les secteurs. Pourquoi ne pas transposer ce principe en communication publique ?
Dans les années 2000, lorsque les collectivités commençaient seulement à publier un site internet institutionnel, l’étude de ces derniers était passionnante. En effet, à la différence des villes américaines, les communes de France découvraient ce nouveau canal. Les contenus étaient donc des calques de ceux paraissant dans les bulletins municipaux. Et comme les CMS utilisés étaient matriciels, chaque bloc possédait un emplacement et souvent un nombre de caractères limités. Comme pour les journaux papier.
Résultat ? Chaque grande ville proclamait les mêmes valeurs. Benoîtement, le lecteur ne procédait pas au benchmark. Le discours était donc frappant. Les occurrences utilisées d’un site à l’autre étaient pourtant toujours les mêmes : attractivité, métropole, technopole, excellence, taille humaine, écologique, culturelle, familiale… Telles étaient toutes les villes de France, de Lyon à Tulle en passant par Lille et Nevers.
L’innovation passait par l’audace graphique. La ville osant du Flash prenait de l’avance. Tandis que celle rafraîchissant souvent sa page d’accueil se faisait remarquer. Mais, fait aujourd’hui amusant, aucune collectivité n’entrait dans l’optique de la différentiation. Et, objectivement, pratiquement au mot près, tous les sites de France s’appuyaient sur le même discours.
Pourquoi ? Parce qu’un site internet de commune ou d’agglomération présentait l’institution, et non le territoire. Dans cette optique, le cadre légal étant le même pour tous, seuls les chiffres changeaient. Nombre d’habitants, taux d’imposition des entreprises, nombre d’étudiants… Le lecteur se retrouvait toujours face à une capitale mondiale dont seuls le slogan, le logo et la couleur étaient plus ou moins attractifs. Qui ne se remémore pas « Montpellier la Surdouée » ?
La donne a changé lorsque les collectivités ont radicalement modifié le cap de la communication. D’institutionnelle, elle est devenue territoriale. Nombreuses ont été les études pour arriver à ce qui, aujourd’hui, nous paraît tellement évident. Est-il de la mission d’un service public que d’afficher en direct les horaires des bus ? Les spectacles à venir ? Les films passant dans les cinémas ? Les expositions ? Les activités de vacances, sport ou tourisme ?
Lorsque les directions de la communication entreprirent cette petite révolution des pratiques, la technologie ayant parallèlement évolué, les sites des collectivités se différencièrent d’eux-mêmes. Parce que si toute institution, par définition, se ressemble, chaque territoire, lui, est unique.
En filigrane, le lecteur pouvait lire : « à Nancy, nous sommes les seuls qui… » Or, à l’heure cruciale d’un choix d’implantation, une entreprise, un habitant cherchaient bien ce qui, dans un territoire, était unique. Internet en fut le reflet. On était ici dans une première approche user centric. C’est la mise en vitrine de la rareté qui devenait déterminante.
Les collectivités ont franchi le pas avec succès. De fait, les villes américaines avaient saisi le concept des années plus tôt. Le portail territorial de New York en était l’éclatant exemple. Un usager trouvait, parmi des dizaines de milliers de pages, l’information en 3 clics. Cette impressionnante clarté était, à elle seule, un facteur de rareté — surtout vue de l’étranger. Plutôt que de parler d’avance technologique, New York l’illustrait par l’exemple. En allant jusqu’à présenter en direct des webcams des autoroutes urbaines en temps réel disponibles même pour du (très) bas débit. Nous étions en 2002…
Aujourd’hui, de nombreuses institutions souffrent du même syndrome du carcan, peinant à se différencier. Par exemple, le secteur des grandes écoles ou des COMUE — les nouvelles structures universitaires regroupant universités et écoles — tablent sur l’excellence. À l’heure de l’autonomie (loi LRU), il a fallu se prendre de plein fouet un positionnement d’office concurrentiel qui n’existait pas vraiment de manière assumée dans la communication institutionnelle. Pour résumer cela sans doute un peu trop schématiquement, les universités ont dû intégrer très brutalement la notion de marketing pour se vendre. Or, ceci est impossible si on se fonde sur de la communication institutionnelle.
Les facteurs de différenciation par la rareté sont donc une force à exploiter. Or, cela n’est pas aussi simple. Une université située dans Paris intra-muros et présente depuis des siècles sur ce territoire possède des arguments de rareté forts et évidents. La Sorbonne a une réputation sans faille, même vue depuis New York ou Séoul. Mais qu’en est-il pour l’université d’Angers ou de Limoges ?
Les grandes écoles sont dans la même situation. Elles sont toutes excellentes, par définition. Comment peuvent-elles se différencier autrement, si ce n’est par l’ancienneté ou la réputation ? Est-ce à dire que seules les meilleures sont visibles parce que rares ? En France, HEC, polytechnique, les Arts et Métiers ou encore Centrale ou Normale Sup sont évidemment connues comme rares : difficiles d’accès, elles représentent l’élite. Mais il existe en France des centaines de grandes écoles, et 74 universités. Comment sont-elles visibles dans le monde ? Et même en France, pour les 2,5 millions d’étudiants ? La proximité est aujourd’hui loin d’être un critère de choix comme souvent dans les années 2000.
Mais on sait, donc, qu’à l’international, l’enseignement supérieur français peine à soigner son image et que son attractivité est limitée face aux majors que sont Harvard, Oxford, MIT, Berkeley, Stanford ou encore Polytechnique de Lausanne. La France fait partie du ventre mou des classements, loin derrière les USA, le Royaume-Uni ou même le Canada en la matière. Or, comment communiquent ces universités qui, du ranking de Shanghai au classement du Times Higher Education, occupent les premiers rangs ? Sur la rareté de leur offre. Et donc sur leur valeur perçue.
C’est d’ailleurs ce que l’on reproche à ces classements : ils sont fondés sur du quantitatif orienté vers une performance qui crée de la valeur perçue, et non de la valeur réelle. Par exemple, le nombre de publications important dans des revues à comité de lecture n’indique pas la qualité de ces publications. Le nombre d’étudiants n’indique pas la qualité des études. Et le nombre de doctorats n’indique pas le taux de chômage des docteurs par la suite. Le nombre de chercheurs n’indique pas l’intérêt des brevets déposés…
Le principe de rareté est effectivement entièrement psychologique. En effet, même ce qui n’attire pas du tout provoque un désir s’il n’est disponible qu’à un petit nombre ou pour un temps limité. C’est l’une des raisons pour lesquelles les grandes écoles sont le rêve de nombreuses familles pour leurs enfants. Même si la filière d’ingénieur, par exemple, ne correspondra pas nécessairement à l’épanouissement professionnel d’un jeune attiré par l’art ou l’ébénisterie.
L’exception est donc une solide base d’influence en marketing. Un discours fondé sur l’excellence ou la performance n’a donc, dans cette optique, plus aucun sens, car il n’est plus différenciant.
Si vous parlez en tête à tête de choses essentielles avec votre conjoint(e) et que le téléphone sonne, combien pariez-vous que vous allez décrocher ? Pourquoi ? Parce que le téléphone vous apportera peut-être une information essentielle, disponible uniquement à ce moment précis. Or, sonnerie après sonnerie, le temps presse de plus en plus et on se trouve face à l’urgence non de parler à un interlocuteur, mais de perdre l’occasion de lui parler.
Ainsi, perdre une chose est une motivation plus forte que le fait d’en gagner une, à valeur égale.
Les campagnes de prévention médico-sociales l’ont parfaitement compris. Ne pas arrêter de fumer ? Ce n’est pas gagner 50 % de chance de ne pas mourir d’un cancer ou d’un infarctus. C’est perdre 20 ans d’espérance de vie. C’est se priver de quelque chose d’essentiel, et non gagner quelque chose de potentiel et de brumeux (sans mauvais jeu de mots).
Ce n’est donc pas pour rien que beaucoup de marques lancent des objets « collectors ». Certes ils coûtent souvent plus cher que la gamme habituelle. Dans les univers des jeux vidéo, de l’horlogerie ou de l’automobile, les séries spéciales et limitées peuvent augmenter les prix de 50 %. Parce que l’objet rare a plus de valeur perçue — alors qu’intrinsèquement, il est identique au reste de la gamme à quelques détails près. Quel collectionneur de timbres ou de pièces ne se battrait pas pour trouver miraculeusement un tirage erroné ?
La quantité limitée est plus importante que la valeur intrinsèque.
Le délai d’obtention également : créer de l’urgence crée du désir. Limiter une offre dans le temps la rend rare. Une offre valable une seule fois et tout de suite est très persuasive.
Nous savons qu’une chose difficile à obtenir est un gage de valeur perçue. Si elle est rare, c’est qu’elle est de qualité. Il s’agit là d’un principe psychologique de raccourci évident recourant à l’exclusivité. L’indisponibilité d’un objet ou d’un service montre, d’une manière sociale, qu’il a été très demandé et donc réassure sur sa valeur.
Mais de manière sous-jacente, la rareté produit un phénomène intéressant : plus la rareté est grande, plus nous sentons notre liberté de choix décroître. Or, garder nos privilèges considérés comme acquis est au fondement du principe de Brehm montrant que toute perte d’autonomie provoque une réaction de défense, ici un choix ou une transaction. Tout choix menacé renforce la valeur perçue et donc la réaction d’un désir accru pour ce dont on va être privé. C’est cela, le principe de réactance. Et il s’ancre nettement chez l’enfant de deux ou trois ans, lorsqu’il teste les limites de sa souveraineté vis-à-vis de l’autorité parentale. Il est donc profondément enfoui dans l’humain. Il se réaffirme à l’adolescence lorsque l’individualité émerge cette fois-ci dans un contexte social. Assumer le rôle d’adulte, c’est acquérir des droits et se rebeller contre toute atteinte à sa nouvelle liberté.
Ainsi, durant la Prohibition aux USA, on n’a jamais autant compté de cirrhoses…
Rendre une offre rare, c’est donc renforcer un désir. Ce dont l’usager a parfaitement conscience. La SNCF utilise ce moyen pour faire accepter sa très complexe politique tarifaire concernant les billets de TGV flexibles suivant les jours et les heures. Tout comme par exemple le péage flexible du tunnel Duplex sur l’A86 à l’ouest de Paris.
Si la rareté induit de la qualité, l’interdit induit de la frustration et donc une contre-réaction inscrite dans la réactance psychologique. Pourquoi préférer Yale à Assas pour ses études de droit ? Parce que privilégiant la première sur la seconde, on ne s’interdit pas la carrière qui va avec, ni le réseau. Cette exclusivité fonctionne entièrement sur la réactance. Alors que dans le fond du problème, les enseignements d’Assas en matière de droit valent ceux de Yale. Mais on constate que ce n’est pas réellement la question mise en avant par le marketing de Yale.
L’usager, comme le consommateur, s’appuie sur des représentations, un imaginaire de la valeur perçue. Restreindre une offre, c’est rendre la cible plus favorable à celle-ci. Plus loin, censurer une offre, c’est même la rendre indispensable.
Ouvrir 100 places à une pépinière d’entreprises (de jeunes pousses), c’est s’assurer d’un taux de remplissage de 100 %. C’est lui assurer ensuite une communication fondée sur l’exclusivité — et donc l’exclusion — pour la développer par la suite. Alors même que l’objectif final est d’ouvrir 1000 places en cinq ans…
Ainsi, créer du manque par la rareté est une piste encore peu explorée en communication publique. Il ne s’agit en rien de manipuler l’usager — l’administré, l’étudiant, l’entrepreneur… Il s’agit de proposer une offre attractive qui se différencie des autres dans un horizon de concurrence mondialisée.
Les pays anglo-saxons ont l’habitude d’injecter la réactance dans leur marketing public. Une étude attentive le prouve. Pourquoi pas en France pour attirer des étudiants ou des entreprises ?