L’entonnoir de conversion (ou funnel, encore appelé customer journey), est la manière dont un consommateur va, dans son processus de décision, passer à l’acte d’achat. Bien évidemment, un consommateur peut succomber au désir d’un achat impulsif. Certains secteurs génèrent particulièrement cette impulsion : le livre, la cosmétique… Mais en règle générale, l’analyse de l’entonnoir de conversion est nécessaire pour mettre en place une stratégie de vente optimale.
Entonnoir de conversion et organismes publics : pourquoi ?
Se représenter le parcours d’achat de ses cibles est une nécessité. Chaque offre nécessite en effet une connaissance spécifique des comportements de sa propre cible. Objectif : accroître le taux de conversion, et diminuer le taux de déperdition.
Lorsque l’on pense entonnoir de conversion, on pense très souvent à vente de produits, voire de prestations. Mais cela touche tous les secteurs. Une université ou une grande école doit attirer les bons étudiants, les meilleurs enseignants-chercheurs. Des financeurs à travers une fondation ou des chaires ou la taxe d’apprentissage. Des étudiants dans les formations payantes comme certains mastères. En 2017, même ce que l’on appelait il y a 10 ans encore les « services publics » doivent mettre en place une stratégie de conversion. Or, à l’heure actuelle, cet angle de vue n’est pas encore réellement entré dans les mœurs.
Les collectivités elles-mêmes doivent faire venir, et fixer sur le long terme des entreprises. Parfois des médecins, des infirmières scolaires, des populations nouvelles. Ou encore des fonctionnaires à compétences spécifiques, comme des directeurs de théâtres, de musées, des experts en tourisme ou en festivals. Ou même de grands pôles d’activité liés à la décentralisation, ou à des concours organisés par l’État.
Obtenir des subventions même réclame une stratégie marketing.
Mais force est de constater que, dans ces cas précis, les stratégies développées ne tiennent pas réellement compte de l’idée-force qu’on se situe bien dans un processus d’achat de la part d’une cible. Même si, dans ce cas, le produit vendu est une inscription ou un choix d’implantation territoriale.
Paris obtiendra-t-elle les Jeux olympiques ou l’Exposition universelle ? Nous sommes ici dans l’extrême. Angers va-t-elle développer son pôle Objets connectés de la French Tech ? Plus précis : Boulogne-Billancourt obtiendra-t-elle un nouveau directeur pour le Théâtre de l’Ouest Parisien fermé depuis deux ans ?…
Les étapes de l’entonnoir de conversion
Le choix pour l’offre d’un organisme public ou territorial plutôt que pour un autre se passe exactement de la même manière que pour l’achat d’un PC, d’une maison ou d’une voiture. Ceci peut sembler surprenant… mais le processus de décision n’est ici ni celui d’un achat impulsif ni un achat routinier. Ou parlera d’un processus décisionnel étendu.
Processus décisionnel étendu
En d’autres termes, opter pour un produit engageant sur le long terme enclenche, chez le prospect, un comportement précis et approfondissant sa connaissance de l’offre.
- Il va reconnaître le plus précisément possible son problème
- Pour ensuite rechercher toutes les informations concernant celui-ci
- Il va évaluer toutes les alternatives se proposant à lui avant de prendre sa décision d’achat
- Une fois le produit acheté, l’évaluation va continuer pendant toute la durée de l’usage.
Ce processus décisionnel est long, puisque l’engagement demandé est fort.
La décomposition des étapes de décision par l’entonnoir de conversion
Si, de son côté, l’acheteur potentiel réfléchit ainsi, le vendeur doit se conformer à cette pratique en facilitant sa prise de décision. Notamment en analysant précisément les étapes bloquantes. Ceci induit la formalisation de tout le parcours d’achat jusqu’à celui-ci, mais aussi bien après. Nous ne sommes pas dans une simple optique transactionnelle, mais sur un cycle de vie client long.
Par exemple, diplômer ses étudiants en doctorat est une chose. Leur assurer, dans une certaine mesure, une carrière ensuite (postdoc, place en laboratoire, poste en enseignement) en est une autre. Ouvrir une filière de mastère professionnel est une chose, ne pas pourvoir des listes de stages aux étudiants en est une autre. Attirer une entreprise sur une zone industrielle est une chose, la maintenir dix ans pour qu’elle se développe et crée emplois et bassin de sous-traitance locaux en est une autre…
Le customer journey
Avant le processus d’achat
- Si le consommateur trie les offres, il n’en retient qu’un nombre restreint après étude. C’est l’étape de considération. Notoriété de l’organisme, valeur perçue, bénéfices potentiels : ce processus fonctionne par l’élimination. En corollaire, le vendeur doit déjà faire partie de cette short list en étant visible et lisible pour être pris en considération.
- Puis le consommateur approfondit sa connaissance des offres retenues en s’informant très précisément. Pas seulement en consultant un site internet institutionnel, ce serait trop facile. Il va se renseigner dans les magazines, par le bouche-à-oreille, l’entourage, car il fait confiance aux preuves sociales beaucoup plus qu’au discours institutionnel. Où en est la réputation de l’organisme public ? Celle-ci ne dépend pas seulement des messages de nature publicitaire…
- Le consommateur va ensuite évaluer les offres pour les trier par ordre de préférence.
- Il va acheter (ou s’inscrire, ou s’implanter, ou postuler…). Cette décision peut être multiple : souvent, concernant un organisme public, il va s’orienter vers plusieurs choix et se décider selon la réactivité de cet organisme, et l’impression qu’il va en avoir in situ. Il va aussi comparer l’écart existant entre la promesse et le réel perçu.
Après le processus d’achat
- En commerce traditionnel, le client va devenir, ou non, fidèle. Vous achetez une Peugeot, votre expérience est excellente pendant 80 000 km : vous rachèterez une Peugeot cinq ans après. Puis une autre. Si une grosse panne arrive et que le SAV n’est pas à la hauteur de la promesse, vous rachetez… une Renault, ou tout sauf une Peugeot. Est-il possible de fidéliser à un territoire, à une université, à une grande école ?… Si oui, comment ?… Cette question n’est pas réellement souvent abordée et c’est bien dommage. L’exemple parfait en est les incubateurs de jeunes pousses… Il en existe quantité d’autres.
- Au mieux, le client — ou l’usager — devient le meilleur ambassadeur de la marque, ou ici de l’organisme. Par exemple, un patron de PME peut inciter ses sous-traitants à s’installer dans la même commune que lui. Ou un Nobel à importer dans son laboratoire ses plus brillants collaborateurs. Ou un organisme bancaire demander à ses plus grands clients de financer un projet de recherche avec lui.
L’entonnoir de conversion : une préoccupation encore éloignée des organismes publics
Ce qui est très intéressant, c’est que l’importe quelle entreprise privée va échafauder sa stratégie de vente sur l’entonnoir de conversion et le customer journey. Elle va chercher à créer de la recommandation, des influenceurs, des ambassadeurs. Va mener toutes les actions pour fluidifier le processus décisionnel de ses prospects sur un cycle de vie long. Mesurer à chaque étape de l’entonnoir le taux de déperdition selon chaque segment de cible.
Si par exemple je vends des piscines, que j’étudie ces taux de déperdition et que je me rends compte que sur le segment de ceux qui ont, les deux derniers mois, acheté une piscine : 50 % ont pris en considération ma marque, mais que 2 % en ont acheté une, alors cela signifie que 98 % ont acheté une autre piscine que la mienne. Est-ce un bon résultat ? Et que dois-je faire pour qu’un acheteur sur dix achète mon produit ? Surtout si mon taux de rentabilité s’établit sur quatre acheteurs sur cent…
Le plan d’action
L’entonnoir de conversion est un plan d’action. Il permet en effet de connaître les processus de décision, mais aussi ce qui décourage l’acheteur d’aller au bout de la démarche. Les pierres d’achoppement peuvent être nombreuses, mais elles ont souvent chacune un remède.
La notoriété de la collectivité est-elle suffisante ? La zone industrielle est-elle bien desservie ? L’environnement de sous-traitance existe-t-il ? Quel accompagnement humain, fiscal, matériel proposer par rapport aux autres collectivités ? Mon université est-elle reconnue dans la discipline et, surtout, le sait-on suffisamment ? (Une colle : où diriger son enfant qui veut faire les meilleures études d’urbanisme en France ?… Gageons qu’aucune réponse spontanée ne vienne à l’esprit alors qu’existe, dans l’Hexagone, un pôle sans équivalent dans ce domaine. Indice : c’est à l’Est de Paris…)
Les organismes publics ne sont pas différents, dans leurs objectifs, des entreprises. Certes, il ne s’agit pas (toujours) de dégager des marges ou des dividendes. Mais la performance est une exigence réelle, notamment depuis la LOLF (loi organique des lois de finance). Et depuis l’autonomie des universités, l’essor des PRES puis des COMUE, ou encore depuis le désengagement de l’État vers les collectivités et la mise en place de communautés de communes dont les statuts, depuis les lois Voynet et Chevènement, ont bien évolué depuis dans l’exigence de performance.
La performance passe par l’analyse des cibles et de leur comportement. C’est la seule manière d’envisager un plan d’action viable pour attirer, convertir, fixer de la valeur ajoutée à un organisme public. Mieux : pour assurer des parts de voix, dans un horizon réellement concurrentiel se mondialisant, à travers du marketing d’influence. Car il ne faut pas s’y tromper : le choix d’un étudiant pour Centrale plutôt que pour les Mines, pour ESCP plutôt que HEC, ou d’une entreprise pour Angers plutôt qu’Orléans, tient aussi aux perceptions issues de chaque étape de l’entonnoir de conversion.