En marketing, la veille proactive est indispensable. Pourquoi ? Parce que le marché évolue. Concurrence, nouveaux usages, besoins et comportement des consommateurs sont en perpétuel mouvement… Le marketing se nourrit de l’air du temps. Mieux, parfois, il crée l’air du temps. Mais pourquoi les tendances marketing peuvent-elles aussi se retourner contre lui ?…
Tendances marketing et proactivité ?
Webmarketing. Content marketing. Marketing participatif, expérientiel, d’influence. Moment marketing. Personal branding… et aspirine !
Le digital semble réinventer la société entière, induisant de nouvelles pratiques, de nouveaux comportements. Il paraît, pour tout un chacun, être une réaction contre le marketing de masse. En effet, qui ne se souvient pas, dans les années 80, de ces publicités non ciblées qui assaillaient des mois durant les usagers du métro sur des sujets qui ne les intéressaient pas ? Qui n’en pouvait plus d’être considéré comme un numéro aux caisses des supermarchés, dans les files d’attente des billetteries d’Air France, de la SNCF ou encore à la Poste ?
Le consommateur, de produits ou de service, souhaite dès lors se réapproprier son je. Et il le proclame bien fort sur les réseaux sociaux. Ceux-ci s’adaptent d’ailleurs parfaitement à cette tendance. Du texte, nous sommes passés à l’avènement de l’image. Puis de la vidéo. Et aujourd’hui du direct live. Et demain, de l’hologramme de l’interlocuteur en taille réelle dans son salon ? Le moi dilué devient, par réaction un moi revendiqué. Le web interactif est le moyen le plus démocratique pour cette revendication.
La technologie induirait donc des comportements. L’interactivité devient une arme pour asséner à la face du monde une insatisfaction concernant un produit ou une marque. Ou, bien au contraire, pour défendre gratuitement, de manière chevaleresque, l’étendard d’un service ou d’un bien.
Mais pourtant, le digital n’est-il pas plutôt le reflet d’une société ? Tout comme les tendances marketing, par rebond ?
Tendances marketing : le paradoxe de la différence
De fait, quel autre choix a-t-on que de s’adapter à cette nouvelle donne sociétale, ici décrite beaucoup trop schématiquement ?
Dans le fond du problème, il existe ici un paradoxe sociétal fort : 90 % des données jamais créées par l’homme l’ont été ces deux dernières années. Ainsi, en communication, avec toute la bonne foi statistique possible, il est certain que cette quantité noie la qualité des contenus dans du bruit qui est devenu un immense brouhaha. Parce que le moi qui s’assume haut et fort comme individu, sur le net, produit un bruit gigantesque puisque tous les autres individus s’assument haut et fort en même temps.
Il en va de même pour les marques. D’où la complexité à analyser les actuelles tendances marketing.
Le marketing possède pourtant une ligne claire, elle hors tendances : rendre visible et pousser à l’action pour produire de la valeur. C’est pour cela qu’on crée l’identité et le positionnement d’une marque. Qu’on lui assigne aussi des valeurs. Et qu’on aide la R&D ou le développement dans la création d’un produit adapté à une demande. Mais comment faire dans un monde où, tous secteurs confondus, nous sommes dans le bruit de l’hyperconcurrence ? Où l’on sait que chaque service, chaque produit proposé ont toutes les chances d’être contrés par une offre moins chère ou à la valeur perçue mieux adaptée ? Ou, si l’on propose objectivement la meilleure offre du marché, on sait que l’on va être noyé dans la masse des autres offres ? L’innovation ne suffit plus, même disruptive, pour créer de la valeur.
Tendances marketing : individus et bruit blanc
Car si tout le monde veut être différent et unique, clients ou marques, cela n’amène-t-il pas à une uniformité globale sous la forme d’un bruit blanc ?
Par exemple, l’optimisation SEO pour Google, l’optimisation des sites (codage, rapidité) pour Google, le responsive pour Google, le contenu structuré pour Google, induisent des pratiques de conception éditoriale uniformes. Un rédacteur écrit pour le client… et pour Google. Le ranking dans la SERP induit de l’uniformisation, ce qui crée du bruit puisque tout le monde utilise les mêmes pratiques et annihile toute différenciation. Alors que la qualité des contenus n’est pas encore techniquement assez bien évaluée : c’est la conformité à la pratique qui est favorisée.
Le marketing : objectif ou outil ?
Dès lors, les pratiques digitales exigent de la proactivité forte pour suivre les évolutions techniques et les besoins, voire, par l’écoute, les demandes des consommateurs. Mais dans le même temps, la différentiation engendrée est arasée par l’uniformisation des pratiques.
Lorsque le marketing d’influence est né, il était hyperefficace. À tel point que tous les marketeurs ont suivi cette piste, l’améliorant, y intégrant les médias sociaux dans toute stratégie qui se respecte. Mais aujourd’hui, comme toutes les marques s’appuient sur cette stratégie, les influenceurs sont sursollicités. Et leurs communautés de fidèles se désengagent. Tandis que les marques ont de plus en plus de mal à construire des communautés lorsqu’elles ne sont pas des majors. Ces tendances marketing sont devenues une pratique uniformisée.
Dernièrement, nous avons même eu une proposition pour intégrer une plateforme de création communautaire pour la modique somme de presque 500 €/mois ! Et une autre pour avoir le privilège d’intégrer nos propres contenus sur une plateforme centralisant tous les « meilleurs contenus » sur le marketing, pour le même type de tarif : il fallait donc payer pour produire ses propres contenus !
Dans ce cas, il semble qu’un certain retour à la raison s’impose…
La perte de vue des fondamentaux par les tendances marketing
Si le marketing a pour objectif de rendre visible, de pousser à l’action pour produire de la valeur, en soi, il est donc un outil et non un objectif. Dès lors, les tendances qui se dégagent actuellement du marketing sont très axées sur les nouvelles technologies, ou les pratiques qui en sont induites. Ce qui est logique. Pour autant, elles ont toutes un point commun : trouver comment se démarquer dans un système extrêmement brouillé, où le quantitatif prend plus que jamais le pas sur le qualitatif.
D’où une sorte de retour aux sources à la manière contemporaine. Réinventer le one to one. L’ultrapersonnalisation de la relation client. Réintroduire le je au centre de l’équation. Dépasser le transactionnel pour induire de l’engagement réciproque, de la confiance, bref : de l’émotion dans la relation. Oserait-on dire : de l’humanité ?
Et de conclure que c’est la spécificité de la relation entre une marque unique (représentée par un humain unique : vendeur, SAV…), et un autre humain unique, qui reste le meilleur facteur de différenciation.
Le marketing recherche ainsi la manière la plus efficace, dans cette concurrence omniprésente, à faire émerger cette marque pour qu’il soit possible de la rencontrer. Ce qui induit son omniprésence au milieu de cette concurrence omniprésente. La stratégie marketing peut donc vite devenir un poste plus important que celui de la R&D d’une entreprise. Car sans client, pas d’entreprise.
Mais il est tout de même incroyable de penser que l’objet principal du marketing 2017 est de réinventer le principe des interrelations humaines, qui par définition existent au moins depuis l’australopithèque ! Dès lors, le marketing est-il créateur de comportements humains, fait-il évoluer la société ou au contraire court-il loin derrière ?…
Les tendances marketing et les effets de mode
Anatole France écrivait déjà, en 1895, dans Le Jardin d’Épicure :
« Tout ce qui ne vaut que par la nouveauté du tour et par un certain goût d’art vieillit vite. La mode artiste passe comme les autres modes. Il en est des phrases affectées et qui veulent être neuves comme des robes qui sortent de chez les grands couturiers : elles ne durent qu’une saison. À Rome, au déclin de l’art, les statues des impératrices étaient coiffées à la dernière mode. Ces coiffures devenaient bientôt ridicules ; il fallait les changer et on mettait aux statues des perruques de marbre. Il conviendrait qu’un style peigné comme ces statues fût repeigné tous les ans. […] La seule difficulté est de définir la forme simple, et il faut convenir que cette difficulté est grande.
Or, dans les tendances actuelles du marketing, on assiste à un retour en force du print. Le bon vieux catalogue qu’on garde et qu’on transmet à son entourage. On prône le brand publishing qui était déjà utilisé par Michelin ou SEB il y a presque un siècle. On s’appuie sur le one to one pour engager le client, ce que faisait déjà le petit marchand de primeurs du quartier en 1950. Et on cherche le moyen de s’appuyer sur des influenceurs alors que le libraire de la rue d’à côté était le meilleur prescripteur pour vous faire acheter le dernier polar correspondant exactement à vos préférences. Nous n’irons pas jusqu’à comparer Facebook aux veillées au coin du feu au XVIIIe siècle, bien évidemment.
Mais seulement à tenter de comprendre si les recherches actuelles en marketing ne perdent pas de vue, parfois, les fondamentaux. Que le marketing s’adapte aux nouveaux supports, aux nouveaux usages techniques ou sociaux, c’est parfaitement normal et même évident. Mais qu’il se vende lui-même comme une fin en soi, beaucoup moins.
La mode vieillit vite…
Revenons à cette offre de plateforme communautaire à 500 €/mois. Objectif : qualifier chaque membre de la communauté pour lui proposer des offres ultraciblées, et donc ultrapersonnalisées. Et en retirer un ROI certain, cette production de valeur valant donc 500 €/mois. Soit. Mais si cet outil est séduisant, n’oublie-t-il pas l’essentiel : pourquoi investir dans un outil communautaire si on possède déjà une communauté qui, par définition, est déjà qualifiée ? Et si on ne possède pas de communauté, en quoi est-ce que posséder un outil communautaire vide apporte de la valeur ?
De la même manière, pourquoi créer du contenu longue traîne lorsqu’on vend des meubles de bureau ou des biberons ? Alors qu’un jeune entrepreneur va acheter son mobilier avant tout selon ses possibilités financières et la conformation de ses petits locaux. Et que la jeune maman va écouter ses amies ou ses parents expérimentés pour faire son choix. L’expertise ne sera pas, ici, dans le content marketing. Mais dans un catalogue produits ou dans la parole de personnes de confiance. Le discours de marque vieillit. Pas la confiance en ce qui fait sens dans le quotidien.
Une bonne stratégie : proactive, mais hors tendances marketing ?
Sur l’excellent réseau social Quora (peu connu en France, la version française est en version bêta), un “Quoran” demandait : “quelle est l’activité qui vous semble la plus rentable sur internet ?” Tout spécialiste du marketing digital possède une énorme palette de réponses à cette question. Elle paraît si simple. Mais l’éthique veut que la réponse reste honnête. Internet n’est qu’un média, un outil. Pas une fin en soi. Les entreprises qui y réussissent ne sont pas seulement en ligne. On n’y voit que la partie émergée de l’iceberg. Amazon n’est pas un libraire en ligne, mais une plateforme logistique ayant investi 40 milliards de dollars en entrepôts ces 2 dernières années. Il n’y a pas d’activité purement on line qui soit rentable. Ou plutôt si : comme le précise un Quoran, “pour les 1 % qui réussissent, ne pas oublier les 99 % qui ont échoué.”
Ainsi, en marketing, il faut toujours se méfier des effets de mode. On survend trop souvent des outils comme des objectifs. Des systèmes quantitatifs pour du qualitatif. Et on confond encore écoute et persuasion.
Sur LinkedIn, dans un bon groupe de discussion, nous étions tous d’accord sur un point. Lorsque les objectifs de performance d’une stratégie marketing sont le marketing lui-même, c’est que la stratégie est mauvaise… C’est la recherche de sens qui devrait avant tout pousser une marque, aujourd’hui, à créer de la valeur. La recherche de sens du consommateur. Et celle de l’entrepreneur. Ceci dit sans métaphysique, mais simplement avec bon sens. Comme une réaction naturelle contre le bruit.
Car au cœur de tout processus marchand, on trouve avant tout de l’humain. Dès lors, l’optique customer centric ne doit pas seulement être un concept, mais un fondement. Qui doit s’inscrire non seulement dans l’ADN d’une marque, mais aussi dans la structure même de l’entreprise, rejaillissant dans sa stratégie globale et donc, par rebond, dans sa stratégie marketing. Qui elle-même n’est qu’un moyen, et non un objectif.
Car l’humain, lui, n’est pas une mode…