Un rédacteur professionnel peut tout vendre. Y compris la tour Eiffel. À une condition : ne jouer à l’écrivain que si le client le lui demande. La raison en est que le texte, en marketing de contenu, est ciblé. Ceci chamboule tout quant aux pratiques usuelles d’écriture. L’enjeu : trouver le bon angle.
L’angle rédactionnel : une démarche customer centric
Vendre la tour Eiffel est une métaphore. Même si plusieurs escrocs, dont Victor Lustig dans les années 20, se sont déjà prêtés au jeu. Tant qu’il y a des clients…
Plaisanterie mise à part, rédiger pour le marketing exige de connaître sa cible et les pratiques de celle-ci. En d’autres termes, se mettre à la place du prospect.
Dans notre cas, vendre la tour Eiffel exige de savoir à qui et dans quels objectifs. Selon ce principe, de nombreux jalons méthodologiques et documentaires sont à prendre en compte. Étude de marché, support utilisé par la cible, objectifs du client, traits à mettre en avant. Pour répondre à un besoin suscité par le produit tour Eiffel.
Dès lors, s’il n’existe qu’une tour, il existe pratiquement une infinité d’angles sous laquelle l’aborder. L’angle, en journalisme, est le point de vue depuis lequel un rédacteur se place pour décrire un objet, une situation, un univers. En marketing, l’angle est différent : ce n’est pas le point de vue de l’auteur, mais celui du prospect qui compte !
La tour Eiffel sous tous les angles
Certains de ces prospects, curieux, souhaiteront savoir comment et pourquoi la tour a été construite. Nombreux sont les touristes souhaitant visiter un monument en connaissant son histoire.
D’autres, plus pragmatiques, rechercheront les points d’accès et les astuces pratiques pour ne pas faire la queue 3 heures dans le froid au pied des 324 mètres de fer puddlé.
Certains voudront seulement rayonner dans Paris Rive Gauche. Les plus riches prévoiront de faire une halte au Jules Verne d’Alain Ducasse à 125 mètres du sol. Tandis que les plus humbles achèteront une tour Eiffel porte-clés fabriquée à Taïwan, leur remémorant ces émotions incroyables passées au pied de l’immense édifice.
Le problème, pour le rédacteur professionnel, reste de faire le tri parmi toutes ces hypothèses et de construire son texte selon l’angle exigé par le prospect. Le but final est que le prospect réponde à l’action demandée par l’annonceur et soit converti en client.
Dès lors, écrire pour la Ville de Paris, la Région Île-de-France, l’office du tourisme, un éditeur en histoire, en architecture ou un hôtel à proximité va orienter l’angle de manière différente. Non parce que l’annonceur diffère. Mais parce que le but commercial, à chaque fois spécifique, induit une cible différente.
Écrire la tour Eiffel est donc une gageure même si le sujet paraît évident tellement il est célèbre. Faire l’auteur est une chose, vendre en est une autre.
Les angles de rédaction : une palette infinie de nuances et de tons
Selon les besoins de l’annonceur et de ses cibles, le rédacteur envisagera donc un angle spécifique.
Un angle classique dépassé pour attirer le grand public
312 puis 324 mètres avec l’émetteur, Expo de 1889, célébration du centenaire de la Révolution française, 7 millions de visiteurs annuels, illumination de 20 000 lampes, symbole de France le plus visité en Europe… 9/10e des textes sur la tour Eiffel évoquent les mêmes chiffres. La différenciation devient un enjeu évident, et c’est l’angle qui va permettre cette stratégie essentielle en marketing éditorial.
Un angle insolite pour attiser la curiosité
La tour Eiffel a coûté 7,8 millions de Francs-or, elle vaut aujourd’hui 434 milliards d’euros selon une étude Chambre de commerce de Monza et Brianza en 2012. Elle a subi une centaine de suicides depuis sa création. On utilise 6 897 pots de peinture de 5 litres monocouches pour la repeindre entièrement. Elle était verte à l’origine, elle est marron « brun tour » aujourd’hui. Une frise au premier étage comporte tous les noms des grands ingénieurs et chercheurs de l’époque dont beaucoup ont étudié à Polytechnique et aux Ponts et Chaussées. On peut prendre en photo la tour Eiffel de jour, mais pas de nuit, car l’éclairage est une œuvre de l’esprit privée exigeant des droits d’auteur…
Un angle de la petite histoire pour attirer par la disruption
En approfondissant l’Histoire, on frôle aussi la petite histoire : les Parisiens haïssaient la tour, lui reprochant son coût par rapport à son inutilité, sa laideur due notamment à des matériaux non nobles par rapport à la pierre. On détestait son gigantisme écrasant Paris, son symbolisme babélien et donc nettement décadent.
On méprisait aussi sa sursymbolisation moderniste inutile pour la capitale du bon goût classique qu’était Paris. Elle représentait un monde industriel et donc ouvrier, lui qui votait si mal. On critiquait le mercantilisme dû au père du canal de Panama immergé jusqu’au cou dans l’un des plus grands scandales financiers de tous les temps.
Mais la tour tint bon avec des arguments assez restreints et aujourd’hui amusants : il fallait se plaindre avant que le chantier ne commence, et le colossal est admiré partout dans le monde, en Égypte avec les pyramides, à Washington avec son obélisque. Pourquoi pas à Paris ? Quand la concession de la tour prit fin en 1910, il était prévu contractuellement de tout démonter. Mais grâce à une station météo unique en son genre à 300 mètres du sol et à un émetteur radio, l’utilité publique du monument ne fit plus aucun doute et on décida de le gracier.
Un rédacteur peut véritablement s’amuser autour de chacune de ces petites histoires qui rejoignent la grande, si la cible est réceptive à ces anecdotes qui sortent des sentiers battus.
Angle et story telling : vendre en racontant
Pour écrire un article plus élaboré et choisir un angle original, on pourrait aussi inscrire la tour dans l’histoire de l’art : en 1900-1910 apparaît en réaction au positivisme d’un Auguste Comte ou au naturalisme d’un Claude Bernard une déstructuration des formes confinant à l’abstraction, en peinture (Braque, Picasso), en musique (Stravinsky) ou en écriture (Zone d’Apollinaire). Freud commence à être traduit et lu, et le communisme révolutionnaire rallie à lui de grandes figures comme Octave Mirbeau ou Pissaro. Présurréalisme et Dada émergent.
La tour Eiffel subit alors une appropriation par sa forme qui est très proche de l’abstraction recherchée dans l’esthétique de l’entre-deux-guerres. En clair, non seulement elle ne choque plus, mais elle devient à elle seule un véritable manifeste, comme pouvaient l’être avant elle d’autres monuments qui symbolisaient le goût artistique français avant qu’il ne change catégoriquement. C’est à partir de ce moment que la tour devient patrimoniale. Par son gigantisme encore non détrôné jusqu’en 1930 par l’Empire Building, elle prend là une véritable dimension iconique. Et elle se transforme en porte-drapeau de la francité (dixit Roland Barthes), phare rayonnant sur le monde.
La tour Eiffel se cache sous un angle et une plume pour devenir un objet-mythe. Demandez à n’importe quel touriste du monde ce qu’il veut voir de Paris, il répondra, en premier dans sa liste, la tour Eiffel. Demandez à n’importe quel Parisien s’il est monté au sommet au moins une fois…
Raconter une histoire, la manière la plus efficace de vendre
Il reste encore à explorer les angles urbanistiques (mutation de Paris fin XIXe, immeubles à grande hauteur, densité et représentations urbaines, etc.). Purement architecturaux (modernisme, futurisme, post-modernisme…). Mais aussi ceux concernant le marché de l’immobilier. L’ingénierie notamment de la métallurgie. L’économie parisienne. Ou les représentations de la francité… pour encercler scripturalement une bonne partie de la tour Eiffel. Sans justement en avoir fait complètement le tour.
Pour un rédacteur professionnel, la tour Eiffel semble être du caviar Beluga. Autant voire davantage que pour la cible marketing. Mais de fait, ce précieux matériau ne facilite pas vraiment la tâche. Parfois, un simple monument englué dans l’anonymat maussade d’un quartier périphérique est beaucoup plus facile à traiter pour lui trouver des acheteurs.
Les cibles de la tour Eiffel sont multiples, complexes à saisir. Tout comme l’objet lui-même. De fait, vendre la tour Eiffel au bon public, c’est raconter à ce dernier la bonne histoire en utilisant le bon angle et le bon ton.
Tout l’enjeu, sur un sujet comme celui-ci, reste donc dans une certaine exactitude. Angle, ton, besoin des acheteurs, action à leur faire commettre. Et c’est au professionnel de savoir mesurer tous ces paramètres d’une manière juste.
La rédaction professionnelle s’inscrit donc de plain-pied dans le marketing de contenu. Elle est tout, sauf laissée au hasard. Mais elle peut parfois être un véritable travail d’auteur… si la cible recherche un texte d’auteur.